64. Un petit kiwi pour la route ?

Difficile de rester de marbre devant ces gigantesques falaises plongeant dans la mer… Sur la route de Milford Sound, lors de ma première vraie journée de voyage à bicyclette, je ne sais plus trop où donner de la tête. J’ai beau avoir été prévenu, je les avais même entraperçues depuis le sommet qui surplombait notre highline avec l’équipe des Ekiwibristes… Mais là, en solo face à de telles murailles, je reste sans voix.
Le fait que Milford Sound soit le seul fjord accessible par la route le rend bien sûr touristique. Il y a un peu de monde, mais ça reste à l’échelle néo-zélandaise… Bison-Futé peut continuer à brouter tranquille.

Malheureusement pour moi, la suite logique serait de monter dans un bateau pour aller explorer d’autres fjords plus avant pendant quelques jours. Mais ce n’est pas donné du tout… Alors je scrute la carte pour tenter de trouver une autre route, ou un trail qui permettrait de rester dans l’ambiance des fjords sans couler le budget . Cet immense territoire est quasi vierge car personne n’a encore posé le pied sur la plupart de ces montagnes… c’est intrigant. Même les Maoris qui vivent en Nouvelle-Zélande depuis 1000 ans ne viennent jamais jouer dans les parages. Il faut dire que les fjords sont séparés des terres habitables par une série de montagnes abruptes elles-mêmes déchirées par des grands lacs, qu’il pleut jusqu’à 8 mètres d’eau par an et que le sol est recouvert d’une épaisse couche de mousse détrempée ou de racines piégeuses noyées de boue qui prennent le téméraire jusqu’à mi-cuisse !

Il y a bien un trek, mais il se fait sur 9 jours, ne sort jamais de la forêt, ne s’approche pas vraiment de l’eau et préfère les bourbiers aux crêtes rocailleuses… Avouez que ça ne fait pas trop rêver. Ah ! Et la zone est infestée de sandflies, des moucherons en apparence inoffensifs que l’on ne penserait jamais devoir chasser, mais qui te mangent la peau créant des démangeaisons dix fois pires que celles des moustiques et qui perdurent pendant une semaine… En bateau c’est le pied, par contre. Baleines, dauphins et lions de mer viennent batifoler régulièrement dans les eaux. Il y a de quoi s’amuser pendant des semaines là-dedans ! À condition d’être bon pêcheur ou d’avoir un grand frigo à disposition car les supérettes ne courent pas les fjords…

Cependant, à bien observer la carte, je finis par découvrir une petite portion de route reliée à rien, perdue entre un lac et un fjord, qui me permettrait peut-être une tentative d’approche. Je dois traverser le lac en bateau, puis je tomberai sur une section d’une vingtaine de kilomètres de piste isolée du reste du monde menant à une belle vallée immergée par la mer. En me renseignant un peu plus, je réalise que l’existence de cette étrange piste n’est due qu’à la présence d’une conduite forcée entre lac et fjord afin de générer de l’électricité. La conduite passe sous les montagnes quand la piste franchit un col, un écart de 150 m de dénivelé permettant de faire tourner les turbines qui alimentent une bonne partie de l’île du sud.
Les Kiwis ont de la chance à ce niveau-là. Une faible population occupe un grand pays montagneux propice à la construction de barrages et autres installations hydroélectriques ce qui fait d’eux des pros de l’énergie renouvelable.

En potassant quelques cartes topo de la région, je tombe alors sur l’existence d’une piste d’entretien de la ligne électrique sortant de la centrale et coupant droit à travers les montagnes. Je la tiens ma route pour le fjord ! Cette piste contourne le lac en enchaînant les plus beaux cols qui soient, et vient se connecter à mes 20 kilomètres de bout de route perdus au milieu de rien. Parfait ! Enfin… à un détail près : le cartographe a dû oublier quelques centimètres de pointillés sur sa carte, car à l’en croire, la piste serait interrompue en plein milieu sur une paire de kilomètres. Improbable ! Il faut aller voir cela de plus près. J’ai le temps de voir venir, la bifurque ne se fera pas avant 250 km…

Quelques jours plus tard, après avoir roulé les plus beaux kilomètres que j’ai eu la chance de faire cette année, et en ayant apporté un soin tout particulier au choix de mes petits bivouacs sauvages, j’attaque enfin cette fameuse piste. Mais quel n’est pas mon étonnement en croisant deux vieux baroudeurs aux vélos chargés de sacoches boueuses, les yeux étincelants perçant leurs peaux d’un cuir tanné par le soleil et les ans ! Quelque chose me dit qu’ils roulent leur bosse depuis un moment sur les routes du monde, ces deux-là !
‘– Arrête-toi ! N’y va pas ! C’est pire que la Cordillère des Andes ce truc-là !’ Me crie l’ancienne. Son camarade de mari renchérit :
‘– Et tu peux nous croire, on l’a traversée 11 fois de part en part…’
‘– C’est plus raide que le Machu Pichu !’
‘– Six heures que ça nous a pris… Six heures pour faire ce pauvre kilomètre qu’ils ne se sont pas donné la peine de finir !’
‘– Sacoche après sacoche, c’est pas une piste, ce truc. C’est pas un sentier non plus… C’est de l’escalade !’
‘– … de l’alpinisme !’
Les deux vieux abandonnent leurs vélos, se précipitent sur moi et m’embarquent dans le flot des aventures les plus folles qu’ils ont eu à vivre pendant toutes leurs années de baroud. Et ils en ont vu des choses, épiques ou peu glorieuses, ces deux Australiens ! La liste de leurs exploits est longue mais… voyant mon sourire répondre à leur harangue, ils comprennent que le petit jeune qui les écoute ne gardera pas son vélo propre longtemps !
‘– Merde, Darling…’ fait le vieux à sa compagne de jeu après un temps, ‘on est tombés sur un plus fou que nous.’
‘– Il va y aller c’est sûr, il paraît mûr pour s’y cogner, franchement…’
‘– Mais tu ne pourras pas dire que personne ne t’as prévenu !’
‘– Et tu vas en chier, jeune con !’
‘– Oh ! ça oui, pour pousser, tu vas pousser, mon gaillard ! On se voit un de ces jours, tu nous raconteras !’
Déjà remontés sur leurs bécanes surchargées, ils s’en repartent aussi vite qu’ils sont venus. Ah ! Certains ont les jambes qui démangent et une sacrée petite bête qui gratte l’intérieur de la tête. Mais bon ! Au moins, la bonne nouvelle, c’est que ça passe ! Hé hé !

J’attaque donc gaiement le premier col sur une de ces jolies pistes de montagne, mitonnée aux petits oignons sauvages comme j’en raffole. Ce n’est pas trop raide, ça roule plutôt bien et surtout… c’est magnifique. Bon, il y a bien la ligne électrique qui fend le paysage mais, pour une fois, elle est le gage d’un passage donc je ne m’en plaindrai pas. Peu de monde vient jusqu’ici. Seules quelques vieilles cabanes de chasse presque en ruine témoignent d’une présence humaine temporaire, ainsi qu’une hutte pour randonneurs avides de vide… dont je prends soin de noter l’emplacement pour le voyage retour.

Et puis apparaît le monstre. Encore loin mais déjà bien impressionnant. Une falaise se dessine, survolée par la ligne à haute tension qui fuit vers un second col. Une petite trace lézarde la face en une série de zigzags démesurés, c’est la piste d’entretien qui tente de se faufiler dans la roche. Dieu ! Ils ne m’ont pas menti, les vieux… je vais devoir pousser. Ou plutôt soulever ! Car en arrivant sur place, je réalise vite que le sol ressemble plus à un pierrier que les rares véhicules tout-terrain passant par là déchirent à chaque passage. Même à la descente, il serait impensable de tenir sur la selle… alors à la montée. Une armée de sandflies m’attend au tournant et engage une  bataille rangée. Horde d’assoiffées fondant sur une proie isolée et facile qui recule presque plus qu’elle n’avance dans cet éboulis. Je dois porter mon vélo pour avancer. Et comme ce dernier dépasse les 60 kilos, c’est disons… une quantité d’énergie non négligeable qu’il faut déverser pour grimper chaque mètre supplémentaire. Je bous tout debout. Je transpire à torrent. Et tout cela en riant car vraiment je n’ai pas le droit de me plaindre, non. Par respect pour les deux anciens.

Heureusement la pluie vient. Salvatrice et rafraîchissante, elle fait fuir les sandflies. Je me mets aussitôt en caleçon, et continue à soulever, à pousser, à tirer de plus belle, telle une locomotive à vapeur qui brûle tout son charbon. Jamais l’idée de l’énergie potentielle n’a pris plus de sens dans mon corps en ébullition. C’est un exemple comme ça que mon prof de physique de seconde aurait dû employer pour nous faire passer le concept. Un kilo élevé d’un mètre prend une énergie potentielle de… etc. L’énergie, la chaleur, … peut pas mieux faire !

Il me faut jusqu’à la nuit pour arriver à la fin de la piste. Des cascades fraîches pissent de partout, parfaites pour une bonne douche glacée. Il ne me reste plus qu’à poser ma tente devant ce qui s’avère être la plus grosse embuscade de Nouvelle-Zélande, et me réfugie à l’intérieur…
Je suis rendu exactement là où le chemin s’arrête. Au dernier pylône de ce côté-ci de la vallée. Le prochain est accessible par l’autre côté ! C’est à dire qu’il faut faire un détour de 200 kilomètres, traverser un immense lac, se farcir un gros col et enfin… atteindre le sommet, situé à peine à une borne à vol d’oiseau devant moi. Pour de l’entretien, ça ne devait pas valoir la peine de dépenser des millions à y tailler le chaînon manquant. Et à la vue du lieu, je comprends. On peut voir se dessiner une petite sente de varappe qui essaie péniblement de s’y frayer un chemin. Ce sera pour demain ! Mais hors de question de trimballer tout mon fatras, je le laisserai là. Un sac à dos et le vélo sur l’épaule, je ferai l’aller-retour dans la journée. En dehors de la zone de portage, ça me fera une centaine de kilomètres avec deux cols. Ça devrait le faire tout juste. Mais d’abord repos ! J’en ai bien besoin…

Au moment de m’endormir, seul sur cette montagne du bout du monde, j’entends un cri. Là, juste à côté de moi. Un cri perçant et plaintif à la fois… un kiwi ? Serait-ce un de ces fameux kiwis qui font la renommée du pays ? Pas le fruit évidement. Déjà ceux-ci ne crient pas, bien qu’ils soient velus et ventrus, et puis ils ne poussent que bien plus au nord. Ils ont pour raison d’être de finir dans nos supermarchés à l’autre bout de la planète après avoir traversé les océans par cargo. Pas un Néo-Zélandais non plus, bien qu’ils se fassent tous appelés Kiwis. Il s’agit peut-être de ce drôle de petit volatile – qui d’ailleurs ne vole pas – et dont le pays a fait son emblème. Est-ce le cri de cet oiseau qui a retenti ? Et maintenant, est-ce cette rareté de chair et de plume qui passe sur le chemin juste derrière ma toile de tente ? Ce serait une sacrée aubaine de le voir, car on ne fait pas plus discret. Ils sont tellement craintifs qu’ils ne sortent que la nuit et restent éloignés de toute activité humaine. En six mois de Nouvelle-Zélande, je ne rencontrerai qu’une seule personne ayant aperçu un kiwi sauvage (mais ça je ne le sais pas encore). Alors je dégaine ma frontale, m’apprête à l’allumer au moment où j’ouvrirai la tente à la volée… mais rien. Le noir complet. Un pauvre sentier détrempé s’enfonce dans la forêt. Le piaf me fera plusieurs fois le coup  sans jamais se laisser voir… tant pis ! Ç’aurait été trop beau. Je ne suis pas chez les Kiwis depuis un mois que j’en verrais déjà un pour de vrai ! Trop facile.

Les oiseaux de Nouvelle-Zélande sont fantastiques. Il existe des spécimens quasi légendaires tant ils sont difficiles à apercevoir mais il y a aussi toute une tripotée d’oiseaux des plus culottés ! Pas du tout effrayés par la présence humaine, et d’une curiosité… à venir t’en picorer les chaussures sitôt que tu te tiens un tantinet tranquille. Je n’ai jamais vu ça. Lors de mes petits bivouacs 4 étoiles des jours derniers j’ai pu observer un couple qui entrait dans ma tente, et inspectait les brindilles que j’installais dans le but de faire cuire mon repas du soir. J’avais planté trois sardines en guise de trépied pour surélever ma popote, et préparais du menu bois en dessous. Oh là là… montage trop intrigant pour ne pas être critiqué par mes petits animaux de compagnie ! Et vas-y que je traficote tout ça, que j’interroge du bec ces drôles de piquets métalliques… Pire ! Pendant que ma mini-flambée chauffait la gamelle, l’un des piafs est venu jusqu’à retirer une des branchettes. Ce n’est pas censé avoir peur du feu, ces bêtes-là ? Attendez… je rêve !
Au sommet de nos montagnes à highline déjà, pendant une courte balade en solitaire, j’avais été surpris par le ballet de deux petits oiseaux qui me tournaient autour. Ils passaient entre mes jambes, sautaient sur mon épaule et même… allaient se glisser sous ma chaussure ! Ce n’est plus de la témérité à ce point, c’est de la folie !

Un peu plus tard, dans un futur proche dont mon petit doigt m’a déjà conté bien des choses, un kéa viendra me becqueter la casquette. Les kéas sont des perroquets. Les seuls du pays, les plus gros du monde, et aussi les uniques représentants de leur genre capable de vivre en milieu alpin. En bref, on pourrait avoir des kéas dans nos Alpes s’ils avaient eu l’envie de voyager un peu ces derniers milliers d’années. Mais non, ils sont endémiques à la Nouvelle-Zélande et un brin casaniers. Et ils sont d’un curieux ! Un vilain défaut, je vous le dis. Ils viennent visiter vos affaires, vous tricotent des trucs avec leurs serres et pincent tout ce qui passe à portée de leur bec, y compris mon petit doigt ! (l’expérience en sera douloureuse, vous pensez ! c’est le meurtri qui me l’a racontée). Une bande de kéas investigatrice peut te ruiner un gros sac à dos de montagne en moins d’une heure. Ils le lacèrent et étalent tout son contenu dans le vallon. Il faut garder l’œil ! Mais ils sont tellement beaux avec leurs plumes vert émeraude et le dessous des ailes rouge et bleu… on leur pardonne tout !

En raison de son long isolement du reste du monde, la Nouvelle-Zélande abrite une faune et une flore très particulières (environ 80 % de cette dernière y est endémique). Beaucoup des oiseaux ont perdu avec le temps leur capacité de voler. N’ayant aucun prédateur digne de ce nom avant l’arrivée des Maoris, puis des colons et de leurs rats, renards, opossums et autres chiens d’introduction… certains des oiseaux insulaires ont perdu l’habitude de voler. Hormis 2 espèces de chauve-souris, le pays ne comptait aucun mammifère, et jamais la queue d’un serpent n’y a été trouvée. Quelques volatiles sont donc devenus gros, très gros, comme les moas par exemple, qui ressemblaient à des autruches de trois mètres de haut, pesant jusqu’à 260 kg. Les moas faisaient partie d’un genre riche de dizaines d’espèces différentes. De un à trois mètres, il y en avait pour toutes les faims quand les Maoris sont arrivés. L’extinction des moas suit de quelques siècles l’arrivée de l’homme dans ce coin du Pacifique. Cher Homo Sapiens, destructeur de la méga-faune, bienvenue dans ton nouveau pays ! Ces poules géantes et leurs tribus de petits qui sillonnaient les forêts à la recherche de centaines de kilos de feuilles quotidiennes devaient laisser leur empreinte dans le paysage. Mais c’est fini, il n’y en a plus. Pareil pour l’aigle géant de Haast qui a disparu à son tour mais qui reste le rapace le plus grand jamais observé sur terre. Il chassait les moas, c’est dire… Aujourd’hui il n’existe plus que dans le chant des Maoris, qui parlent d’un oiseau pouvant enlever un homme jusque dans son nid. Grand mal te prit, seigneur des airs, on t’a privé de dîner avant de te canoniser en légende volante…

Par contre un certain nombre d’espèces non volantes – dont le fameux kiwi – ont tout de même survécu. Je verrai aussi plus tard quelques étranges oies coureuses au plumage bleu flash. Ce sera disons… laissez-moi interroger mon petit doigt… dans un parc national où des individus viennent d’être réintroduits. Comme elles ont été élevées en captivité, elles restent à proximité des gîtes le long du trek, sans chercher à s’en éloigner. Facile de les voir dans ces conditions mais suffisamment rare pour ébahir les locaux de passage. L’un des habitués des lieux qui fait ce trek de 100 km environ trois fois par semaine nous dira que c’est la première fois qu’il les voit. Et d’ajouter dans son anglais le plus articulé qui soit, celui qui peut être audible à des touristes français : «Guys, do NOT eat this bird, please !» Ne mangez pas cet oiseau, s’il vous plaît !
Ah… quel dommage, une grosse oie bleue et rare, ça aurait fait tellement bien sur Instagram. J’aurais pu faire sponsoriser mon voyage par l’électorat de Trump avec un cliché pareil !

Au passage, cet homme ne fait pas des allers-retours sur ce trek pour l’unique plaisir de s’entraîner les mollets, mais il en fait en quelque sorte son bureau. Son gagne-pain, si vous préférez. Certaines personnes diraient qu’il a un grain, mais je répondrai que rester assis 20 ans dans les mêmes locaux à faire plus ou moins le même boulot ne fait pas forcément rêver davantage. En fait, la Nouvelle-Zélande manque cruellement de routes – pour le plus grand bonheur des marcheurs – dans le cas de ce trek il faut faire un détour de 300 km par la route entre le point de départ et le point d’arrivée de la rando. Ce gars prend donc rendez-vous avec les randonneurs sur le parking au début de la marche, les laisse partir gentiment, fait le détour avec leur voiture, et termine en courant le trek dans l’autre sens. Quand il croise ses clients, l’homme-navette leur rend les clés en échange d’un bon petit billet, et tout le monde est content. À commencer par les oies qui regardent passer les grains.

Il y a les wékas aussi. Une espèce de petite poule sauvage plutôt audacieuse et pas craintive pour un sou qui a frôlé l’extinction, mais que la politique de protection néo-zed a presque propulsé au stade de nuisible tellement elle prolifère maintenant. Dans un futur proche, on en piègera un avec… avec… avec mon collègue, tiens ! Faut pas pousser les devinettes, mon petit doigt voit les wékas mais pas mes futurs compagnons de jeu. Enfin bref, il sera une fois où nous serons, ogres-potes, en train de dormir dans une cabane quand un de ces oiseaux entrera. L’un de nous fermera prestement la porte, à des fins d’étude de la faune locale, rien de plus… Et le wéka courra un moment entre nos pattes en gueulant qu’il ne veut pas être le dindon de la farce avant de trouver une sortie par la cheminée défoncée. Pas de chance pour lui, un vélo se trouvera sur son passage, et le volatile tentera de passer à travers les rayons. La tête, le cou et les ailes d’un côté de la roue, le popotin coincé de l’autre ! Pas sûr que ce soit la technique de chasse des Maoris mais, roule ma poule ! ça marche bien. Ceci-dit, ne vous inquiétez pas, aucune bête ne sera maltraitée pendant le tournage, mon petit doigt vous le garantit ! Nous tenterons juste d’apprendre à ce wéka les bases de la frousse de l’homme, afin qu’il enseigne à ses petits qu’il faut établir une distance de sécurité avec nous et nos véhicules. Pour le salut de son espèce, la poule aux potes retrouvera la liberté.

Pour en revenir au kiwi, je n’aurai pas autant de chance et n’en verrai jamais. La deuxième nuit que je passe dans la tente, au même endroit, après avoir fait mon petit aller-retour au fjord, le cri plaintif retentit une paire de fois. Mais ma méthode de surprise à la frontale n’est guère efficace…
Je me demande pourquoi c’est précisément  cet oiseau qui a été choisi par les Néo-Zélandais pour devenir l’emblème du pays. Il n’est pas très élégant avec son long bec qu’il plante dans le sol à la recherche de vers et de larves aux odeurs alléchantes. Il est presque aveugle, craintif au plus haut point, et surtout personne n’en voit jamais le bout de la queue. Vous allez me dire qu’en France, le coq n’est peut-être plus la mascotte idéale non plus. Ce braillard des campagnes qui réveille son monde dès l’aurore pourrait s’adapter aux 35 h !
Enfin bon, à parler d’oiseaux, je deviendrais presque oisif… Comment s’est passée ma tentative de portage au cours de l’expé au fjord ? À merveille ! Une heure et demie à sanglionner dré dans l’pentu, mon vélo sur l’épaule et un sac à provisions au dos. Même chose pour la descente au retour, ce genre de pente folle n’aidant pas vraiment à monter sur la bécane. Des tarés ont quand même eu l’audace de baliser ce «chemin» de pancartes portant la mention «piste vélo, grade 5, Expert». Franchement je voudrais bien le voir moi, l’expert en la matière capable de descendre un truc comme ça. Même au championnat du monde de descente aux Gets, ils ne sont pas allés aussi loin. Grade 5 de randonnée, peut-être. Quand il faut obligatoirement mettre les mains contre la pente, passer sur et sous assez de troncs d’arbre pour y construire une fuste et retenir son souffle en marchant sur un pierrier instable qui domine le précipice qui l’attire …

En dehors de cela, la virée se fit dans les meilleures conditions. L’équipage d’un bateau arrimé dans le fjord m’invita même à bord pour une crêpe et une petite visite, tout surpris qu’il était de voir un cycliste.

Dans les semaines qui suivent, je me promène sur des chemins bien plus fréquentés le long des côtes sud de l’île, et c’est un vrai bonheur. J’y retrouve même mes deux anciens d’Australie ! Superbes panoramas sur l’océan qui grouille de dauphins et de pingouins. Pour la première fois, près de Dunedin, je vois des albatros royaux. C’est leur seule colonie de nidification qui ne soit pas perdue sur une île de la zone antarctique.

Et puis il y a les kiwis, les hommes et les femmes du pays cette fois-ci. Les Néo-Zed sont malgré tout extrêmement accueillants. Avec leurs friteries dans chaque bourgade, leur humour, leur autodérision et leur immense capacité à ne pas se prendre la tête. Les vantardises sont bonnes pour les Australiens, comme ils disent. À charge de revanche, car le couple Nouvelle-Zélande-Pays des kangourous est un peu le pendant austral de notre France-Belgique. Toujours une blague pour dénigrer gentiment l’autre, tout en mettant à l’honneur gastronomie et apéritif à chaque visite !

Que je me sens bien en Nouvelle-Zélande. Et l’aventure va bientôt s’écrire au pluriel avec l’arrivée de mon vieux pote de baroud. Ce sera encore mieux ! Il faut vite que je retourne à Queenstown pour le retrouver. En chemin, il y a les grandes plaines du Rohan à traverser, ça promet encore quelques jolis clichés !

À suivre…

Clem

Je mets ici quelques photos d’oiseaux et autres bestioles prises au passage.

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4 réflexions sur “64. Un petit kiwi pour la route ?

  1. Salut Clem, Ton reportage sur la Nouvelle Zélande est un régal, c’est vraiment magnifique. Quelle différence avec l’Australie. Et comme d’habitude, j’attends la suite. Gros bisous de nous deux. Nana.

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