52. Folies malaises

Il y a quelques jours, juste avant de quitter la Thaïlande, j’ai appris sur un coup de chance qu’un cycliste que j’avais rencontré en Europe roulait tout près de moi. Je l’ai immédiatement contacté, et l’on a décidé de se retrouver en Malaisie, vers Kuala Lumpur. Sacrée coïncidence… Nous nous étions vus à Dubrovnik, un an et demi plus tôt, à 23 000 kilomètres d’ici ! Il n’aurait pas fallu louper ça. D’autant plus que mes journées devenaient de plus en plus routinières et qu’il était temps de remettre un peu de peps dans le quotidien ! Rien de tel qu’un nouveau compagnon de route pour revisiter tous les pays que l’on a faits chacun de son côté, et rêver à ceux que l’on n’a pas encore traversés.

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Je dormais chez un drôle de Russe à ce moment-là. Un gars complètement perché qui a l’habitude d’accueillir des voyageurs pas loin d’une des plus belles plages de Thaïlande : Tonsai. Tout en discutant, il m’apprend qu’un certain Matthew Harris a logé chez lui trois jours plus tôt. Il est resté une nuit et a filé le lendemain en direction de la Malaisie…
Le fait qu’un type que je connais soit passé ici, à l’autre bout du continent, quelques jours plus tôt, me sidère complètement. Le pire est que nous n’avons pas du tout pris le même chemin ! Il est passé par la route de la soie en Asie Centrale, puis par la Chine et le Laos avant d’atteindre la Thaïlande… En gros, il est passé au nord de l’Himalaya alors que je traversais l’Inde et la Birmanie au sud. Et les coïncidences ne s’arrêtent pas là : nous sommes partis tous les deux d’Europe la même semaine avec des points de départ à peine distants de 100 km. Aujourd’hui, 17 mois plus tard, nous passons au même endroit, presqu’au même moment, en ayant roulé à mille bornes près un nombre égal de kilomètres !
J’attaque dès le lendemain la route de Kuala Lumpur avec la ferme intention de le rattraper et de voyager un moment avec lui. Il paraît super-motivé à l’idée de me rencontrer, ça va bien se passer !

Au cours de notre contact, il me donne deux trois bons plans et lieux à visiter après la frontière. Comme je n’avais absolument rien de prévu en Malaisie, je vais donc suivre un petit itinéraire recommandé. Mais je vais bien vite apprendre – à mes dépens – que ce pays à une notion du tourisme bien trop avancée pour moi, et que je ne m’y sentirai guère à l’aise… Heureusement le vélo est un moyen de locomotion qui me permet de rester proche des gens et de partager un peu leur quotidien en dormant chez eux. A défaut d’apprécier les sites touristiques, il y a toujours le plus important : la rencontre avec l’habitant !

La Malaisie est un pays musulman. C’est d’ailleurs un sultan qui en est le monarque, bien que son rôle soit très symbolique. Cependant le pays est divisé en trois grands groupes ethniques, à savoir les Indiens, les Chinois et les Malais. Autant vous dire qu’avec un tel cocktail asiatique, la Malaisie est le paradis terrestre de… la bouffe !! Ha ha ! Trouver au même endroit la puissance épicée des plats indiens, avec son infinie variété de curry, de dal, de chapatis et autres petits desserts sucrés , l’extravagance des saveurs tout droit venues de Chine, son porc, ses nouilles, ravioles et soupes variées , le tout appuyé par les cultures malaise et indonésienne qui apportent leurs lots de délices et de traditions… Je pourrais rien que pour cela manger ici toute ma vie ! A m’en faire oublier le goût du reblochon, c’est tout dire.

D’un point de vue religieux, les Musulmans prennent largement le dessus sur le reste de la population. Le sultan n’est pas là pour rien, l’islam est plus que de rigueur. Après avoir côtoyé des Musulmans d’Albanie, de Turquie, d’Iran, des Emirats Arabes, d’Oman et d’Inde, je pensais avoir fait le tour de la question, mais force m’est de constater que la pratique de cette religion est vraiment dépendante du pays dans lequel elle s’exerce. Il faut à chaque fois presque tout reprendre à zéro, les gens, les comportements, les règles sociales… tout est à revoir. Je vais essayer plusieurs fois de demander l’hospitalité dans des mosquées – ce qui marchait plutôt bien en Turquie et en Iran – mais en dehors d’une petite pose accordée pour remplir mes bouteilles d’eau, je ne serai jamais vraiment bien reçu dans ces lieux de culte. Il faut dire que l’on est très loin de nos églises souvent vides et froides, les mosquées sont ici un lieu de rassemblement quotidien de grande importance. Des centaines de personnes viennent y prier plusieurs fois par jour, discuter, rencontrer du monde… c’est un vrai moteur de socialisation. Autant vous dire que là au milieu je ne suis guère à ma place et qu’il va falloir que je change mes petites habitudes  à la thaïe quand je passais l’essentiel de mes nuits en monastère.

J’aurai cependant le plaisir de passer une nuit dans un temple bouddhiste, non pas thaïlandais, mais birman ! Et pas n’importe où : au beau milieu de la ville de George Town, sur l’île de Penang. Haut lieu touristique que l’on m’avait conseillé, Penang est l’une des destinations favorites des Malais. Il paraît que la nature y est magnifique, l’authenticité remarquable, et que ses traditions culinaires attirent les touristes de toute l’Asie. Mais rien qu’à voir la ville de loin, ça vous donne tout de suite une idée de ce qu’est le tourisme à la malaise : des gratte-ciel, des building, des hôtels et des plages en béton. Je ferai quand même un tour de l’île, histoire de me coucher moins bête, mais sans grande conviction. La seule chose vraiment sympa aura finalement été de passer la nuit dans le monastère. Un temple refait à neuf au centre de la ville, qui accueille des moines exilés de Birmanie et voit défiler des touristes curieux. Moi, je suis gentiment allé voir pour demander si je pouvais y dormir une nuit en expliquant que je venais de traverser leur pays. Les moines étaient ravis ! Visiblement personne ne leur fait jamais ce genre de demande. Les gens viennent visiter, prendre des photos, déposer de petites offrandes… mais nul ne leur a jamais demandé de dormir ici. On a discuté un moment dans le jardin central, éclairés par les phares des grues de chantier alentour. Petit lieu de paix verdoyant au milieu d’une jungle de béton…

Pour quitter l’île, j’ai réussi à emprunter l’un des deux ponts qui la relient au continent. 22 km de long, soit plus d’une heure de vélo en mer ! Je dis « réussi » car apparemment c’est interdit aux cyclistes… D’ailleurs un garde de la sécurité routière viendra me pêcher à mi-parcours pour me demander de faire demi-tour. Chose encore bien plus dangereuse que de continuer ! Et puis le détour aurait été énorme, j’aurais perdu ma journée à retourner à George Town pour y prendre un ferry… Après négociation, je finirai par charger mon vélo sur le pickup du gardien, et à me faire offrir le transport jusqu’à l’autre bout. Il ne pourra rien faire d’autre que de me déposer à un péage d’autoroute, que je devrai suivre tout le reste de la journée faute de sortie accessible ! Bonjour la sécurité…

De l’autoroute, on aperçoit des villages touristiques hérissés de gratte-ciel ou des champs verdoyants de palmes à huile qui s’étendent à l’infini… Je sens que je vais vite oublier la Malaisie ! Mais je ne me démotive pas encore, et attaque le lendemain une longue ascension sur les Cameron Highlands aux célèbres plantations de thé. Les montagnes, j’aime ça ! Ça va être dément, c’est sûr !

Hum… une 4 voies qui attaque les collines, découpe le paysage, taille des flancs entiers de montagne pour s’imposer.. j’ai vu mieux comme petit col sympa. Mais heureusement, au sommet, la récompense m’attend ! Après sept heures de grimpe, je peux enfin m’émerveiller devant un paysage de toute beauté : à perte de vue, des champs et des champs de… thé ? Non, de plastique ! Des milliers de serres recouvrent les collines. Culture de fraises hors-sol, de framboises hydro, de fruits rouges en pot… sur des kilomètres carrés. Mais ce qui pousse le mieux, ce sont encore les hôtels ! Il y en a partout, et de très gros ! Un sol riche et fertile en attrape-nigauds touristiques, dites donc… Après quelque temps passé à pédaler au milieu des bâches et des serres, je ne me fais guère d’illusion quant à mes chances d’être accueilli chez l’habitant… Ce soir, ce sera bivouac à la sauvage.
Du moins, c’est ce que je croyais ! Car après avoir rencontré l’équipe locale de vélo de route, je finirai finalement chez un collègue restaurateur fan du Tour de France, qui m’offrira un repas dans son resto et une nuit d’hôtel pour me «sponsoriser», comme il dit. Il ajoute même que si je voyage un jour à Taïwan – Ah mais vous êtes de Taïwan ? – je serai sponsorisé tous les soirs. Car là-bas, ils adorent ça !

Dans la soirée, je demande à mon hôte s’il existe quand même des plantations de thé quelque part dans les Cameron Highlands. Car c’est un peu le truc que l’on nous vend sur de gros panneaux publicitaires 100 kilomètres avant d’attaquer la montée (oui, c’en est à ce point-là… ). Sa réponse ne se fait pas attendre, il voit tout de suite de quoi je parle : « Oui, mon ami ! Il y a quelques beaux champs, à un endroit. C’est pas long, sur un kilomètre tout au plus. Un peu plus loin sur la droite, tu ne peux pas le louper, tout le monde vient prendre des photos à cet endroit ! »

En effet, c’est magnifique. Sur un kilomètre, c’est magnifique. Et puis après, les serres se referment sur leurs proies. Joie.

Après ce double échec mer et montagne, je n’attends plus grand chose de ce pays… A tort, je sais, mais que voulez-vous, suer pendant des heures pour se faire envoyer aux fraises, ça calme. Je prends donc la direction de Kuala Lumpur, et trace tout droit ! Et pour la première fois depuis très très longtemps, c’est sacrément chiant. Seules les nuits et bien sûr les pauses-déjeuner me redonnent du baume au cœur. J’ai l’occasion de tester un million de nouvelles saveurs dans les food court chinois, et de renouer avec les traditions indiennes puisque je passe finalement l’essentiel de mes nuits dans des temples hindous, ou dans les communautés chrétiennes du Kerala (peuple originaire du sud de l’Inde). Rencontrer autant de personnes si différentes et si riches de leurs différences, ça c’est génial !

Au bout de cette longue route, je retrouve Matthew. Après tant de mois passés à rouler chacun de notre côté sur une immense partie de l’Eurasie, il va bien nous falloir une semaine entière pour faire vraiment connaissance et tout se raconter ! Ça tombe bien, c’est à peu près le temps qu’il nous faudra pour rejoindre Singapour. Ensuite, on verra si on continue ensemble le périple vers l’Océanie…

                                                                                                                                                Clem

J497 à J510 sur la carte

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