Vientiane a beau être la plus endormie de toutes les capitales d’Asie, le contraste avec l’arrière-pays procure un sacré choc ! Passer en quelques jours de champs de pavot perdus dans la montagne à des zones résidentielles poussant comme des champignons, ça surprend toujours un peu. Sans parler des SUV qui ont remplacé en nombre les motoculteurs familiaux des campagnes, ou des costards-cravates qui ont pris le pas sur les tenues traditionnelles. C’est en entrant dans cette ville après avoir remonté pendant des semaines la piste Hô Chi Minh, et s’être perdu sur les hauts plateaux, que l’on se rend compte à quel point le Laos est un pays d’inégalités. Pour un gouvernement qui se veut communiste, les extrêmes sont d’autant plus surprenants. En passant devant l’ambassade américaine flambant neuve, j’ai une petite pensée pour les centaines de milliers d’habitants qui survivent avec une simple mono diète de riz. Malgré tout, Vientiane reste une ville très modeste. Ce sont plutôt mes standards de normalité qui ont été revus à la baisse ces derniers temps. Je dois m’acclimater de nouveau à la société. Et pour ce faire, quoi de mieux que de rendre visite à un vieil ami qui vit ici depuis des années ! Jean-Charles, un ancien collègue de promo, s’est installé à Vientiane à la sortie de l’école, et n’a pas bougé depuis. Il m’accueille comme un prince dans ce que je considère vite comme la plus belle maison de toute la capitale. J’y passe plusieurs semaines à me reposer et organiser la suite de mon périple. Il faut que je me fasse refaire un passeport à l’ambassade de France car mon fidèle sésame n’a plus de page vierge… et que je demande au consulat chinois de baptiser le nouveau avec un premier Visa.
Auteur : Clément
75. L’art et la barrière
La pente est raide et la montagne est partout. Pourtant rien ne semble pouvoir arrêter la camionnette tout-terrain. Lentement, lourdement, elle engloutit les mètres les uns après les autres. Rebondissant sur le sentier, elle fait virevolter les pierres sur son passage. Ses pneus crantés labourent le sol, déchirent la trace à chaque tour de roue. Rien ne pourrait entraver sa progression laborieuse. Dans la cabine de pilotage personne ne dit mot. J’observe la piste défiler d’un regard flou, cette piste que je viens de faire à vélo dans le sens contraire quelques heures plus tôt. Coude contre coude avec quatre compagnons de voyage, je n’ai d’autre choix que de regarder devant moi. Les treillis couleur jungle et les Kalachnikovs serrées entre leurs genoux ne me donnent guère envie de regarder ailleurs. Il y a des fois où notre destinée n’est plus entre nos mains et où il ne sert à rien de lutter contre le courant. Mon vélo est solidement harnaché à l’arrière de la cabine. Retour à la case Départ, autant prendre les choses du bon côté : le covoiturage m’évite une sacrée suée.
73. La piste Hô Chi Minh
Rouge ! La piste Hô Chi Minh annonce la couleur dès les premiers kilomètres. Rouge comme les argiles qui couvrent le sol et s’élèvent en nuages chargés d’ocre au passage de mes roues. Rouge ! Parce qu’en l’absence de bitume et de terrassement… c’est mon cardio qui va être mis à rude épreuve. Cependant, les premiers temps, les choses ne se déroulent pas trop mal. Il y a encore des ponts sur les rivières, et des maisons dignes de ce nom au bord de la piste. Ça ne grouille pas de vie, mais il y a toujours quelques gamins curieux qui trémoussent leurs fesses nues sur mon passage, et des tripotées de petits cochons qui détalent sous les buissons. Pourtant assez vite, sans que rien dans le paysage ne puisse l’expliquer, les plantations disparaissent peu à peu, les jardins rétrécissent comme peau de chagrin et les rizières semblent reléguées au rang de souvenir. Les villages deviennent de plus en plus distants les uns des autres et, entre eux, la forêt s’épaissit. Inversement, les villageois sont de plus en plus nombreux à tourner la tête pour me regarder passer et les mômes de moins en moins vêtus. S’il existe parfois ailleurs un ascenseur social, la piste Hô Chi Minh correspond à l’escalier de service qui mène au sous-sol… Plus on avance, plus on s’enfonce dans la misère du peuple. L’aventure est une descente vers les bas-fonds de la dignité. Arrivée dans le monde des oubliés.
74. Héritage
Tandis que je m’enfonce toujours plus sur les anciennes traces de la piste Hô Chi Minh, je prends lentement conscience du drame humanitaire qui se déroule ici. Un matin, enfin ! je rencontre une équipe de démineurs. Ils sont Laotiens mais c’est le ministère des affaires étrangères de Norvège qui les forme et les équipe. L’Union Européenne, les États-Unis, la Corée, … de nombreux pays aident au financement du déminage. L’équipe au travail vient d’investir une rizière asséchée, qu’elle passe au peigne fin, mètre par mètre, avec des détecteurs à métaux sophistiqués. 45 ans après la fin du conflit, l’urgence est toujours au déminage des cultures et des villages. On ne parle pas encore du nettoyage systématique du pays entier, de ses forêts et de ses cours d’eau… Les pronostics les plus optimistes parlent d’un objectif zéro bombe d’ici à la fin du siècle.
72. Couture-Service : gencives et pneus toute taille
Je traîne ma misère toute la journée sous un cagnard tropical. C’est long, c’est raide, ça n’avance rien et la route est déserte. Étonnamment, je me sens plutôt confiant. Ne pouvant rien avaler, je mets à profit mon entraînement pour le jeûne. Je boirais bien quelque chose, de la coco, du jus de canne à sucre… ou même un bouillon. Mais ici personne n’a rien à vendre. Plongée dans la jungle de l’arrière-pays laotien !
71. …et surtout Bonne Santé !
750 kilomètres en 6 jours… pour passer la frontière laotienne avant la fin de mon Visa viet. Une fois encore, je dois mettre les bouchées doubles à bicyclette après une période d’immersion locale ! Il va falloir que je m’organise car je n’ai plus l’entraînement pour une telle épreuve. Heureusement, les routes du Vietnam sont en très bonne condition et il y a toujours, au bord de la route, de jolis fruits tropicaux à acheter ou des cafés glacés noyés de lait concentré à siroter dans un hamac. Entre les pauses, il va falloir que je m’accroche… car il fait chaud ici, très chaud. Et humide ! On est loin du climat néo-zed… J’essaie de profiter au maximum des heures matinales en démarrant à 6h et en pédalant une cinquantaine de kilomètres avant de me caler un petit déj sur le pouce. Des aliments simples qui se digèrent facilement, tout en m’hydratant le plus possible. Sinon, à ce rythme, c’est la tendinite assurée. Ici, pour 50 centimes, je me procure un jus de canne et une quinzaine de petites bananes, que je mange avec du gingembre frais et des feuilles de menthe à peine cueillies. En fin de journée, la température devient à nouveau supportable, et je peux remettre le turbo. Je reçois un accueil des plus généreux de la part des Vietnamiens qui m’offrent plus d’une fois le gîte de façon spontanée. Ici dans un petit stand de nouilles, là avec une famille chrétienne vivant face à l’église du village. C’est toujours enrichissant de découvrir une nouvelle culture. À chaque pays ses règles et ses coutumes, chaque frontière franchie dévoilant un lot de changements. Ce qui tombe à merveille car, depuis que j’ai quitté le cocon familial, j’ai inscrit parmi mes règles d’or : faire chaque jour quelque chose de nouveau. C’est pourquoi les moments passés avec des locaux sont pour moi des plus précieux. Chaque journée apporte sa petite expérience inédite. Parfois très modeste, mais c’est un carburant dont les gouttes renouvelables donnent assez d’énergie pour faire le tour du Monde !
70. Par-delà le Mékong
69. Vipassana ? Oui, passe par là !
Quand j’ai retrouvé le goût de l’écriture et repris la transcription sur papier numérique de mes carnets de voyage, j’avais tellement de retard que je ne pensais écrire qu’un seul article à propos de l’Australie, et un second pour résumer la Nouvelle-Zélande. Finalement, on dirait que la motivation d’écrire et d’élever une fois pour toutes mes souvenirs et impressions dans le cloud l’a emporté sur la précipitation… et 16 articles supplémentaires ont rejoint ma collection. C’est du boulot, mine de rien, j’y passe du temps ! Mais c’est un vrai plaisir de se replonger dans un voyage encore récent avec un recul qui permet le détachement et l’analyse. Parfois, c’est un nouveau pays qu’il me semble redécouvrir. C’est troublant. Je ne saurais que recommander la tenue d’un journal de bord lors d’un périple. Car la mémoire, chose abstraite et nébuleuse, aime nous jouer des tours. La réveiller, la stimuler, ne nous conduit pas simplement à revivre un instant les événements du passé, mais à les structurer avec un œil averti et la magie de la mémoire sélective… quand cette dernière ne nous fait pas réinventer une histoire différente. Cette mémoire, qui change au gré du temps et des humeurs, me donne parfois l’impression de visionner deux films traitant le même sujet mais réalisés par deux cinéastes différents. C’est peut-être ce que diront mes petits-enfants, si un jour ils s’amusent à comparer mes carnets et les récits qu’ils ont engendrés… tant une même réalité peut paraître différente, vue à travers le prisme de la mémoire et des choix. À d’autres moments toutefois, la différence est si ténue, le ressenti et les émotions de l’instant si bien décalqués sur le papier, que je contemple des tableaux jumeaux. Peints par le même artiste, et figurant la même scène, comme l’œuvre de certains peintres qui aiment à revenir encore et encore sur les berges d’une rivière ou qui veulent retrouver sans cesse un certain coucher de soleil pour mieux le magnifier. Cependant, à y regarder de près, chaque œuvre est unique, chaque ligne a son trait de caractère propre, et l’ensemble n’offre jamais totalement le même résultat. Au moins, ça me laisse l’espoir d’écrire un jour quelque chose d’à peu près satisfaisant…
68. Cocottes en stock.
J’étais donc bien caché. Ils ont eu l’œil ! Mon vélo était à peine visible et moi, j’étais à l’intérieur, emmitouflé dans ma doudoune. Mais on ne la fait pas à des pros du sauvetage comme eux. Ils savent très bien que les animaux blessés ou malades se cachent pour reprendre des forces. Ils ne font pas du stop. Alors le fourgon s’est arrêté.
67. Bienvenue chez les Ch’Kiwis
Rien que pour vivre cette joie de la reprise – qui dure parfois plusieurs jours – ça vaut le coup de faire des pauses ! Et plus elle sont longues, plus les reprises sont bonnes. Je peux l’avouer… je suis complètement camé à cette liberté de nomade.